Contrefaçon et dénigrement : quand la Cour de cassation redessine les limites
Par un arrêt rendu le 15 octobre 2025 [1], la Cour de cassation a clarifié, voire durci, le régime juridique applicable aux mises en demeure adressées aux revendeurs de produits présumés contrefaisants.
Elle a jugé que le simple fait pour un titulaire de droits de mettre en demeure des revendeurs de cesser la commercialisation d’un produit suspecté de contrefaçon, avant toute décision judiciaire définitive, constitue un acte de dénigrement à l’égard du fournisseur, et ce, indépendamment de la mesure ou de la prudence des termes employés.
La problématique centrale :
Historiquement, la jurisprudence admettait que le titulaire de droits pouvait alerter des tiers sur un risque de contrefaçon, à condition que cette communication soit fondée sur une base factuelle sérieuse et formulée avec mesure, sans exagération ou accusation directe.
Cette approche permettait aux titulaires de droits de prévenir la diffusion de produits contrefaits tout en restant dans un cadre admissible.
L’arrêt du 15 octobre 2025 semble rompre avec cette pratique : en assimilant le revendeur à un tiers pour l’appréciation du dénigrement, la Cour neutralise toute communication précontentieuse avant décision judiciaire.
Or, dans le contentieux de la contrefaçon, la responsabilité du distributeur est de plein droit, indépendamment de sa bonne ou mauvaise foi.
Le paradoxe :
Cette position crée un véritable paradoxe pour les titulaires de droits :
Ils peuvent assigner le revendeur pour contrefaçon,
Mais ils ne peuvent l’informer préalablement du risque juridique sans s’exposer à une action en dénigrement de la part du fournisseur.
Les revendeurs, qui ont un intérêt économique direct à poursuivre la commercialisation des produits litigieux, peuvent ainsi maintenir leur activité pendant la durée parfois longue du contentieux, tandis que le titulaire de droits se voit privé de moyens préventif.
Conclusion :
En durcissant les conditions dans lesquelles un titulaire de droits peut informer les revendeurs d’un risque de contrefaçon, la Cour de cassation impose une nouvelle discipline stratégique et juridique.
Cette décision rappelle aux titulaires de droits que, dans le contentieux de la contrefaçon, le droit d’alerte préventive doit désormais composer avec la protection de la réputation des distributeurs, ce qui reconfigure profondément la gestion des réseaux de distribution et la stratégie anti-contrefaçon.
[1] 15 octobre 2025 Cour de cassation Pourvoi n° 24-11.150 - https://www.courdecassation.fr/decision/68ef380910fb86995ec6ea5c